Un lundi matin de décembre 2014, Julie Bruchert, réalisatrice strasbourgeoise et ancienne camarade en école de commerce d’Antoine Deltour, entend à la radio que son ami est inculpé au Luxembourg. Cette poursuite devant une cour pénale tombe comme un coup de massue. Les conséquences de ses révélations sur l’ampleur de la politique fiscale luxembourgeoise au détriment des États européens sont lourdes pour ce jeune papa trentenaire. Il risque 10 ans de prison.
Julie décide de reprendre contact avec Antoine pour prendre de ses nouvelles, puis, va germer l’idée de réaliser un documentaire sur lui :
« C’est l’histoire d’un mec qui a 30 ans et qui porte un truc trop lourd pour ses épaules. J’avais envie de rendre justice à la vie humaine qui est derrière la médiatisation. Pour Antoine, cela lui permettait de s’exprimer. C’était une sorte de soupape, voire même de psychanalyse. »
L’homme derrière le lanceur d’alerte
Durant plus d’une année Julie suit Antoine sur toutes les étapes importantes de l’affaire mais aussi dans sa famille, chez lui, avec ses avocats. Elle montre avec justesse le poids et les conséquences d’un tel procès sur la vie d’un homme. Antoine se confie sans retenue :
« On peut voir une évolution de mon état d’esprit à l’image. Au début, j’étais un peu paumé, parfois j’étais tremblant, puis au fur et à mesure, je gagne en assurance. J’appréhendais un petit peu de faire ce documentaire car je livre une part intime de moi-même. Je ne suis plus le personnage public, je ne peux pas être dans le contrôle. Il y a même une séquence tournée alors que nous avions bu quelques bières, des instants de vérité. En même temps, je pense être cohérent et sincère dans ce que je dis, donc ce n’est pas compromettant. Et nous avons convenu par précaution d’un droit de regard des avocats. »
Un pari risqué
Antoine et Julie ne se lancent pas dans ce projet sans risques. Cela fait 5 ans qu’ils s’étaient perdus de vue. Antoine joue gros en accordant sa confiance à Julie et en se lâchant devant la caméra :
« Avec les journalistes, il devait toujours rester dans le contrôle de peur que ces propos ne soient retenus contre lui par la partie adverse. »
Julie, elle, a commencé à tourner son premier documentaire sans financement, ni garantie qu’Antoine ne revienne sur sa décision :
« Des amis intermittents du spectacle ont accepté de venir tourner avec moi sans savoir s’ils seraient payés. Mais il fallait lancer le projet vite. C’est seulement après que les discussions avec des producteurs ont été entamées, puis qu’Arte et des chaînes locales se sont montrées intéressées. »
De réalisatrice à confidente
Au bout d’un certain temps, Julie ressent le besoin de continuer l’aventure avec quelqu’un. Elle fait appel à son ami et réalisateur Gabriel Laurent. Il accepte de coréaliser le film et apporte un second regard. Il suggère à Julie de se mettre en scène pour lever le mystère sur son identité et incarner à l’écran cette amie venue soutenir Antoine :
« C’est cohérent que j’apparaisse dans des moments d’échange avec Antoine. Nous étions parmi les personnes les plus présentes tout au long de l’affaire, parfois plus que le comité de soutien. À force, je connais les discours d’Antoine par cœur. Je pourrais presque les faire à sa place. »
Parlons simple, parlons bretzels
L’évasion fiscale, ce n’est pas le sujet le plus évident à illustrer. Les montages financiers sont complexes, les frontières avec la légalité floues, les chiffres faramineux échappent à l’entendement commun. Julie tenait pourtant à expliquer les mécanismes de l’optimisation fiscale. C’est à l’heure de l’apéro qu’est arrivée la bonne idée :
« C’est une de mes séquences préférée. On a essayé à plusieurs reprises de parler simplement de l’optimisation fiscale, avec des assiettes, des verres… Un jour, Antoine a eu l’idée des bretzels. C’est magique. Quelques bretzels, quelques sticks, quelques miettes, et on comprend tout ! »
Une vieille amitié renouée
Après des semaines de montage, montrer le film à Antoine a été un vrai soulagement. Julie était anxieuse de connaître sa réaction, mais elle a été rapidement rassurée, preuve qu’ils ont eu raison de se faire confiance :
« Il a trouvé que le film était très juste. Il a le sentiment qu’on montre la réalité même s’il y a des moments dont il n’avait pas gardé le même souvenir en les revoyant à l’écran. »
Il existe deux versions du documentaire avec des montages complètement différents. Un 52 minutes et un 36 minutes pour la diffusion sur Arte Reportage. La version courte est plus chronologique, la version d’une heure laisse davantage de place à la parole, à l’intimité et à la rigolade.
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