Vendredi, la troisième et dernière journée d’audience du procès de l’amiante libérée au Parlement européen lors d’un chantier en février 2013 a débuté par les plaidoiries des avocats.
Me Jean-Paul Teissonière, avocat du Parlement européen, Me Valérie Bach, avocat de la défense en charge des intérêts civils et Me Renaud Bettcher, avocat de l’architecte d’intérieur ont tenté de minimiser l’exposition des intervenants du chantier à l’amiante, lors de l’incident. Me Valérie Bach a expliqué :
« On s’est emballé en parlant de catastrophe sanitaire, ce n’en est absolument pas une. Le seuil de 5 fibres/litres d’air (seuil sanitaire légal d’exposition à l’amiante pour tout individu, ndlr) n’a pas été dépassé. En traversant la ville, j’ai respiré de l’amiante. On respire tous de l’amiante et on est tous susceptibles de développer une maladie en lien avec l’amiante. »
Celle-ci estime, à la barre, qu’une grande majorité de plaignants n’auraient pas pu être exposés au dangereux isolant :
« Pour les fonctionnaires du conseil de l’Europe, ils nous disent tous passer par la passerelle pour aller à la cantine. Cette passerelle ne contenait aucune amiante. Pour les fonctionnaires du Parlement, on constate que la plupart ont en réalité un bureau totalement éloigné du chantier, dans un autre bâtiment. »
Sous le regard consterné des avocats des parties civiles, l’avocate du cabinet Welsch & Kessler continue à exposer ses arguments pour les salariés des sociétés intervenus sur le site au moment de l’accident et jusqu’à ce que le chantier soit fermé, soit deux semaines plus tard.
Celle-ci admet tout de même qu’un des plaignants a développé une maladie liée à l’exposition à l’amiante. Mais pour que cette maladie soit reconnue comme professionnelle, il faut apporter la preuve d’un « lien direct et certain » avec la période de l’accident du Parlement européen.
« Eradiquer l’amiante est un idéal dangereux »
Pour Me Jean-Paul Teissonière, avocat du Parlement européen, l’idéal serait « d’éradiquer l’amiante » :
« Mais c’est un idéal dangereux, car on prend des risques dans le désamiantage. Si on ne touche pas a l’amiante en place, le propriétaire de l’immeuble a l’obligation de procéder à un contrôle de la partie visible de l’amiante. Mais le principe, c’est qu’à chaque fois que l’on ne peut pas procéder à un retrait, il ne faut pas le faire. »
Là encore, les avocats de la défense exposent l’argument principal qui consiste à dire que les poteaux incriminés n’étaient pas dans la zone de travaux, donc que les prévenus ne pouvaient pas savoir qu’ils contenaient de l’amiante. Me Antonio Alonso, avocat de Patrick K., le coordinateur sécurité, déclare :
« C’est quand même un délit particulièrement grave qui est reproché à Patrick K. dans cette affaire. Le coordinateur sécurité a une mission qui correspond a appréhender l’ensemble des risques qui peuvent surgir a l’occasion d’un chantier. Pour qu’il puisse réaliser sa mission, il faut qu’on lui en donne les moyens. La zone de doute ne fait pas partie du périmètre des travaux. Qu’aurait-il pu faire ? Il ne pouvait pas mener a bien sa mission de coordination. »
« Qui est coupable ? »
Dans cette affaire, chacun renvoie la balle de l’autre côté du terrain. Me Valérie Bach soulève cette problématique : « ma première question est : qui est coupable ? » A cela, Sébastien Hauger, substitut du procureur, répond en s’adressant au président du tribunal, Jérôme Lizet :
« Le principe en la matière est une responsabilité cumulative. Vous devrez en déduire quelques évidences tel Watson (fidèle associé du détective Sherlock Holmes, ndlr) que la responsabilité pénale de tel ou tel prévenu est indépendante de la responsabilité pénale de l’autre ou des autres. »
En réalité, le substitut du procureur anticipe sur ses réquisitions qui n’ont pas manqué de surprendre plus d’un auditeur venu suivre l’audience. Celui-ci a, en effet, demandé la relaxe de Marie-Delphine Bodain, architecte d’intérieur et maître d’oeuvre sur le chantier. Comme les deux autres prévenus, elle doit répondre de « mise en danger d’autrui par violation d’une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement. »
Mercredi, lors de l’ouverture du procès, Sébastien Hauger avait cherché à connaître la définition exacte du métier d’architecte d’intérieur. Parmi les missions qui lui sont accordées dans le rapport de la direction du travail (Direccte), le maître d’oeuvre doit veiller à la sécurité des personnes intervenant sur le chantier, même si ce n’est pas le seul à endosser ce rôle.
Des peines qui peuvent « paraître faibles »
Pourquoi alors serait-t-elle hors de cause dans cette affaire ? Le substitut du procureur l’explique :
« La mise en danger d’autrui suppose une obligation particulière de sécurité et elle n’en a violé aucune. On ne peut pas lui reprocher de manquer à une obligation générale de sécurité. Par contre, on aurait pu lui reprocher une obligation particulière de sécurité, qui donne la conduite à tenir dans une situation déterminée, mais elle n’en a pas violé au regard de la loi. »
Pour le coordinateur sécurité du chantier, Patrick K., Sébastien Hauger a requis trois mois d’emprisonnement avec sursis et pour la société Stenger plâtres & staff, représentée par Joël Jund, le procureur a requis 20 000€ d’amende pour « mise en danger d’autrui par violation d’une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».
Des peines qui peuvent « paraître faibles », selon l’aveu même de Sébastien Hauger mais qui ne doivent pas être influencées par le seul nombre de victimes potentielles ou la durée de l’audience. « Il s’agit de faire une application habituelle et personnelle d’une peine d’avertissement », observe-t-il.
Le tribunal a mis son jugement en délibéré au jeudi 8 septembre.
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