La 2e circonscription du Bas-Rhin est la plus explosive à Strasbourg. Et ce n’est pas seulement parce que le candidat Modem, soutenu par En Marche, est directeur de Réseau GDS, émanation de Gaz de Strasbourg. Cette société étant détenue en majorité par la Ville de Strasbourg, présidée par l’adjoint nouvellement « En Marche » Olivier Bitz, il y avait dès l’origine de l’eau dans le gaz dans cette élection, où l’on retrouve le plus grand nombre de figures de la politique strasbourgeoise.
Sylvain Wasermann n’est pas nouveau en politique. Conseiller de la Région Grand Est, il est aussi maire de Quatzenheim depuis 2008, dans le Kochersberg. Il ne s’est pourtant pas présenté dans la 4e circonscription. Un « parachutage » a attaqué le PS sur sa gauche. L’intéressé répond qu’il travaille dans la circonscription, habite à 12 kilomètres et pensait être plus utile sur ce terrain, où il met en avant une expérience de 7 ans dans les quartiers difficiles avec Unis-Cité, une association qui promeut les services civiques pour retrouver l’emploi. « Je ne vais pas passer mon temps à m’excuser », conclut-il en rappelant qu’il n’est pas le seul candidat à ne pas habiter sa circonscription d’élection.
Montée en température
La tension est montée d’un cran lorsque la présence de Christel Kohler comme suppléante de Sylvain Waserman a été confirmée. Adjointe au maire de Strasbourg, elle a été élue en 2014 sans étiquette sur la liste municipale PS et elle a rejoint « En Marche » en novembre 2016.
Elle se retrouve donc face à un de ses collègues de la municipalité, Philippe Bies, député depuis 2012, qui se représente. Le maire Roland Ries (PS) a dû expliquer et écrire très formellement qu’il soutient bel et bien le député sortant, ancien adjoint de quartier du Neudorf (2008 à 2014) et non sa nouvelle adjointe, arrivée en 2014. Comme s’il subsistait un doute…
À une semaine du vote, son premier adjoint, Alain Fontanel, guère proche de Philippe Bies, a lui aussi rejoint « En Marche » et quitté le PS. Là encore, nouvelle levée de boucliers de 24 élus socialistes de Strasbourg et le maire a dû encore intervenir et indiquer que chacun soutient qui il veut, mais que « l’équipe municipale doit aller au terme du projet pour laquelle elle a été élue en 2014. »
Pour autant, il n’est pas allé jusqu’au retrait des délégations de son adjointe, si vraiment il avait voulu sanctionner Christel Kohler pour s’être présentée contre Philippe Bies. Mais selon certains participants, les réunions d’adjoints en mai ont pris des tournures épiques.
Sylvain Waserman et sa colistière voulaient faire campagne sur des thèmes nationaux et le programme du président de la République. Mais ils doivent déminer une partie des attaques :
« Si je suis élu, je quitterai de toutes façons mes autres mandats et mes fonctions de directeur. Si ce n’est pas le cas, le maire m’a assuré qu’il ne fera pas de mélange des genres. Je ne vais pas couper le gaz à ceux qui ne votent pas pour moi. En face de moi, le candidat PS préside de son côté de grands bailleurs sociaux de la circonscription et je ne l’accuse pas d’utiliser ce levier. »
Campagne en binôme, et après ?
Plus que les candidats « en Marche », Sylvain Waserman fait clairement campagne sur le duo, « Waserman-Kohler », à l’instar du nom de leur page Facebook ou de leurs documents de campagne (d’où la mention Modem a disparu). Ils sont ensemble à tous leurs déplacements et événements. Le centre-droit pour lui, le centre-gauche pour elle. Les questions de développement économique, son domaine d’intervention à la Région Grand Est, ceux d’Environnement pour elle (sa délégation à Strasbourg).
Au-delà de la campagne, le duo promet d’agir en binôme par la suite. « Emmanuel Macron prévoit un vrai rôle pour le suppléant. Le député prend des décisions sur des lois nationales et le suppléant étant plus un relais sur le terrain local. », explique Christel Kohler. Tous deux, ils organiseraient des « Assises de la circonscription », une instance où il ne sera pas question de contester les projets du président, mais « d’y amener des idées, les porter et les faire adopter par tous », prévient Sylvain Waserman.
À l’Assemblée, le tandem veut promouvoir, « le modèle strasbourgeois de l’énergie » (à l’aide d’entreprise semi-publiques comme Réseau GDS), « du dialogue inter-religieux », la protection d’espaces verts et « l’accélération de la décision politique », thème développée dans le livre de Sylvain Waserman « Et si on uberisait la politique ? », paru fin 2016.
Le candidat insiste aussi sur le renouvellement :
« Regardez les candidats de 2007, Philippe Bies, Pascale Jurdant-Pfeiffer et Philippe Maurer étaient déjà là… Vu les intérêts à Strasbourg, comme celui du statut européen, la ville a besoin d’un député de la majorité présidentielle, comme Jean-Philippe Maurer l’a été en 2007 et Philippe Bies en 2012. Pas d’un député d’opposition. »
Au PS, un positionnement délicat
Fidèle hollandais, qui a tout voté, Philippe Bies adopte un positionnement subtil. Lui qui s’est beaucoup engagé sur les questions de logement, il fait campagne sur son bilan, des engagements, plus ou moins « Macron-compatibles », mais il entend aussi se démarquer face à « trois candidats de droite » et se voit davantage libre qu’un député de la majorité présidentielle :
« Qu’une majorité n’ait pas de contrepoids me semble risqué, y compris pour l’efficacité des politiques. Emmanuel Macron souhaite d’ailleurs une Assemblée variée puisqu’il est pour la proportionnelle. Je serai un député constructif mais exigeant. Je suis en phase avec les questions de moralisation de la vie politique, que je voterai pour poursuivre le travail du quinquennat et les questions sociétales. Sur les questions économiques et sociales, je n’ai pas d’opposition de principe, mais je serai plus exigeant. Les orientations du gouvernement sont plutôt à droite, à l’image du Premier ministre et de celui de l’Économie et je ne m’y retrouve pas complètement. »
Il se dit par exemple contre la généralisation du référendum en entreprise, mais plutôt favorable à l’assurance chômage universelle. Alors que son opposant a fait campagne sur les enjeux économiques de la circonscription de la plaine des Bouchers et du port de Strasbourg, Philippe Bies a répliqué sur ce terrain :
« Je n’ai pas attendu le directeur de Gaz de Strasbourg. J’ai suivi des dossiers pour le maintien de Stracel devenu Blue Paper, General Motors devenu Punch où 1 000 emplois étaient en jeu, ou encore d’autres dossiers moins médiatiques tels que Clestra. Le rôle du député n’est pas de sauver ces entreprises mais de faire un travail de suivi et de coordination. J’ai aussi fait adopter deux amendements de la loi Macron pour autoriser le Port autonome à créer des filiales comme Batorama, qui se porte bien. Je n’ai rien changé à ma manière de faire campagne malgré les circonstances difficiles. »
Pourtant assez proche d’Emmanuel Macron, son équipe de campagne n’a pas économisé ses coups en direction du candidat qui s’en revendique. La saisine du déontologue (voir encadré) a en quelque sorte ouvert la campagne.
Plus qu’ailleurs, les deux camps ont affiché leurs soutiens locaux. Côté Philippe Bies, on peut noter que certains élus qui ont critiqué ses votes lors du quinquennat (Syamak Agha Babaei ou Paul Meyer), ou soutenu Emmanuel Macron à la présidentielle (Patrick Roger, Michaël Schmidt) ont tout de même renouvelé leur confiance au seul candidat PS strasbourgeois qui a gardé la couleur rose sur ses tracts et ses affiches.
Côté Sylvain Waserman, certaines des élues telles Catherine Zuber (Modem) ou Lilla Merabet (UDI), alliés à la Région, le soutiennent mais souhaitent dans le même temps la victoire de la candidate de droite Elsa Schalck à Strasbourg centre (1ère circonscription). On relève aussi le soutien de Françoise Werckmann, écologiste et elle même candidate… contre un candidat En Marche à Haguenau (9è circonscription). Dur à suivre.
Preuve que même si les protagonistes s’en défendent, il y a bien des équations personnelles en jeu. « Ils ne sont pas forcément d’accord avec tout, mais ils nous soutiennent pour des aspects précis ou des manières de faire et on se retrouve sur des valeurs », assure le duo qui voit là une concrétisation du positionnement « En Marche ».
Ces tensions micro-municipales strasbourgeoises feraient presque oublier qu’il y a d’autres candidats qui tracent leur route et pourraient profiter de ces divisions pour les supplanter.
Le FN proche de son score de 2015 ou de 2017 ?
Aux élections départementales de 2015, le FN était passé à 92 voix d’un duel contre la droite au second tour (24% contre 24,8% pour le PS) sur le canton 6, aux contours assez similaire. Et encore, on peut suspecter que le candidat d’Alsace d’Abord (5,5%) avait capté une partie de son électorat. C’est d’ailleurs une membre du binôme de l’époque, Julia Abraham qui portera le programme du Front national.
Professeur d’allemand de 24 ans en Lorraine, elle est l’une deux élues FN à Strasbourg. Elle est très discrète au conseil municipal, contrairement à son homologue Jean-Luc Schaffhauser qui s’occupe de la quasi-totalité des prises de parole. Sur les questions locales, c’est Andrea Didelot, candidat à Strasbourg centre, qui signe les prises de position.
Comme à son habitude, le FN nationalise le rôle de député et fait campagne sur ses thématiques habituelles : l’insécurité, l’immigration, la souveraineté nationale. La question de l’euro est désormais en retrait. À la surprise générale, son suppléant a même déclaré lors d’un débat sur France 3 que le parti était prêt à voter certaines lois ! En revanche, le score du FN à la présidentielle sur la circonscription est moins encourageant : quatrième avec 15,69%.
Accord non-respecté à droite
À droite, l’opportunité des divisions au centre et à gauche n’a pas été saisie. Jean-Philippe Maurer élu historique et ancien député du secteur s’est présenté contre l’avis de « Les Républicains ». Son parti l’avait d’abord investi avant de signer un accord avec l’UDI pour cette circonscription. Vieux briscard de « Les Républicains », il se présente sous ses habits nouveaux « d’homme libre » qui ne devra rien à son parti. Il peut compter sur ses fidèles soutiens et son ancrage local, mais pas tout l’appareil pour sa campagne. Il a été exclu du parti pour 3 ans début mai, mais cela ne l’a pas dissuadé.
Colistière de Jean-Philippe Maurer il y a deux ans aux élections départementales, Pascale Jurdant-Pfeiffer est la candidate officielle UDI-Les Républicains même si c’est avant tout l’UDI qui s’engage à ses côtés. Après être restée fidèle aux accords UDI-LR pendant la présidentielle, elle devient d’un coup de baguette magique « complètement Macron-compatible » comme elle l’a déclaré dans un débat sur France 3 Alsace.
Les deux élus locaux (à la Ville dans l’opposition et au Département dans la majorité) ayant déjà été candidats en 2007, un échec pourrait amorcer un renouvellement de la droite et du centre sur un secteur que le duo a arpenté depuis des années.
Deuxième à la présidentielle, la France insoumise peut-elle confirmer ?
Quant à la gauche davantage opposée aux politiques d’Emmanuel Macron, l’élection fait figure de test. Comme dans les autres circonscriptions strasbourgeoises, Jean-Luc Mélenchon était arrivé deuxième à l’élection présidentielle (22,84%). La candidate de la France insoumise, Christine Kaïdi, 53 ans, est une nouvelle tête dans la politique strasbourgeoise. Fonctionnaire, un temps entrepreneuse, elle est notamment engagée au centre socio-culturel de l’Esplanade, où elle donne des cours de Français à destination des étrangers.
Mais elle devra surmonter la division de la gauche avec les candidatures communistes (Marie-Pierre Ponpon, membre d’Ensemble), écologistes (Leïla Binci, habitante engagée au conseil de quartier du Port-du-Rhin) pour rééditer la performance d’avril.
Selon les résultats, plus ou moins de dégâts à Strasbourg
Une chose est sûre, l’élection « laissera des traces » avant tout localement, dixit un élu strasbourgeois. Dans la majorité municipale municipale bien sûr, mais aussi entre dans les relations entre « Les Républicains » et l’UDI, ainsi que dans la gauche qui cherche à fonder une alternative, locale ou nationale, au positionnement centriste « d’En Marche ».
La situation pourrait devenir cocasse en cas de triangulaire voire de quadrangulaire (il faudrait une forte participation pour que les candidats arrivés 3ème et 4ème récoltent plus de 12,5% des voix des inscrits).
Chargement des commentaires…